Enchantés de gagner l’Empire du Milieu, nous voulions résoudre ici une
triple énigme : savoir si ce territoire pouvait être à
la fois le berceau de la viticulture mondiale, le prochain grand producteur de vin et
la future plus influente société de consommation.
Le pays du boulier compteur n’allait malheureusement pas tarder à nous
renvoyer à un modèle obscure et ubuesque, tant
le socialisme à la chinoise s’accordait sans complexe à un totalitarisme
ultra-libéral.
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C’est à vélo que nous avons découvert la Cité Interdite et la place Tiananmen.
Lors de nos excursions dans Pékin, nous étions les observateurs
désabusés de l’urbanisme brutal qui sacrifiait
les historiques quartiers Hudongs au nom des Jeux Olympiques 2008.
Ces scènes n’étaient pas sans nous évoquer les mêmes excès
dévastateurs et délibérés sur la Grande Muraille et la forêt chinoise.
Lucides, nous décidions somme toute que les entraves fondamentales aux
libertés de l’homme ne devaient pas contrarier notre opportunité
d’apprendre de ce pays.
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Son héritage culturel et médical restait exaltant, sa richesse
calligraphique et gastronomique fascinante. Loin des contrefaçons de
mauvais goût, l’authentique cuisine chinoise était la plus
raffinée que nous n’ayons jamais approchée.
Cette richesse culinaire nous faisait toucher charnellement la subtilité,
la diversité et la complexité des produits et des modes de cuisson usités.
Nous constations aussi que les us et coutumes du service et le gambé,
le rituel cul sec, allaient radicalement à l’encontre de notre sacro-saint accord mets et vins.
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Le Centre d’Expérimentation sino-français avait officiellement
été créé par nos deux gouvernements. En formant les cadres
chinois à la viticulture et à l’œnologie modernes, il
représentait une indéniable révolution culturelle. L’introduction
de certains cépages, comme le marselan créé par l’Institut National
de la Recherche Agronomique français, y était testée sous nos yeux.
Résistant à l’oïdium et au botrytis, il permettait
l’élargissement de la palette aromatique des vins, encore concoctés
pour une bonne part avec des raisins de table et du vin étranger importé en vrac.
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Prodigieux territoire embrassant quatre fuseaux horaires et près de 10 millions de km²,
la Chine ne dénombrait pourtant que 300 domaines.
De secourables consultants et importateurs
nous ont permis d’accéder à ces chais, en principe fermés.
La production viticole nationale était assurée
aux deux tiers par les géants Great Wall, Dynasty et Changyu. Les vignes se trouvaient
en Hebei autour de Pékin et en Shandong près de Yantai.
Le qualitatif Grace à Pingyao, les plantations à
la frontière nord-coréenne et le vignoble de Suntime dans l’occidental,
lointain et aride Xinjiang faisaient office d'exceptions.
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Cette localisation avait hautement été limitée par le relief
de l'Himalaya et des plateaux désertiques de Mongolie intérieure.
Elle avait préféré les vastes plaines alluviales
orientales, rendues fertiles par ses nombreux deltas et régulées thermiquement par
la Mer Jaune. Toutefois, même à cet endroit, la rudesse des hivers était
telle que l’homme avait dû s’adapter à ce milieu hostile.
La technique de taille observée plaçait les astes
au plus près du sol. Un enfouissement total des ceps sous 50 centimètres
de terre se substituait inéluctablement au simple chaussage.
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Le premier client des groupes viticoles restait curieusement le gouvernement.
Les quelques dizaines de millions d’autres consommateurs se définissaient par leur
caractère urbain, masculin et élitiste. Le vin était bu dans les
métropoles de Pékin, Shanghai, Guangzhou et Chengdu. Dans les bars et les
casinos, ce vecteur de reconnaissance, sans aucune connotation
épicurienne, permettait d’afficher son appartenance au Parti ou à
l’armée. Afin d’affirmer la supériorité de son statut social,
l’alternative était sans équivoque : un vin chinois ou un Bordeaux.
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Hebei : Centre d’Expérimentation sino-français, Rongchen,
Great Wall -
Shandong : Suntime -
Shanxi : Grace.
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chine
Cité Interdite à Pékin
place Tiananmen sous le regard de Mao Zedong
jeune pousse dans une bouche du Shanxi
lotus pékinois du palais d’été
vignoble de Grace
irrigation des vignes à Pingyao